Résonances – Avril 2000

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Pas d’âge pour philosopher

 

Contrairement aux idées reçues, l'argumentation nécessite un entraînement et celui-ci peut débuter dès l'enfance. Trop souvent, l'argumentation est éludée ou alors incomplète. Développer sa pensée nécessite un véritable travail. Il ne suffit pas de manier correctement les «parce que», les « mais » et autres connecteurs argumentatifs pour devenir maître dans l'art de l'argumentation. Dans notre société médiatique, l'argumentation est fréquemment passée à la trappe. Il faut parler bref, écrire court. C'est très bien, mais parfois la pensée finit par être dénuée de profondeur. L’accoutumance à un raisonnement par trop synthétique peut être nocif. Les manipulateurs peuvent quant à eux ruser avec une charpente argumentative ne reposant que sur du vide. Il est essentiel d'apprendre à raisonner pour débusquer les stratégies déficientes, volontaires ou non.

Pour construire une argumentation efficace et porteuse de sens, il faut se donner des outils de pensée. Le but dans le maniement des arguments ne devrait pas être de tromper l'autre en le noyant avec des propos apparemment construits, mais au contraire de chercher a organiser son dire après l'avoir mûrement réfléchi. Le découpage des mécanismes de la pensée est un chemin vers la liberté et vers la tolérance. Apprendre à philosopher, c'est apprendre à douter et surtout à relativiser et a modérer toute généralisation hâtive. Renverser l'ordre des mots, observer le pouvoir ou le poids excessif de certains termes («tous» ou «aucun» par exemple), sont des moyens pour comprendre la logique ou l'absence de logique d'un argument. Avec un peu d'exercice, le raisonnement s'affûte. Et de la finesse de la pensée peuvent naître des idées novatrices.

Pour apprendre à penser et à structurer ses propos, il semble fort heureusement qu'il n'y ait pas d'âge minimum ou presque (puisqu'il faut tout de même au moins savoir parler et idéalement savoir lire). Philosopher dès les plus petits degrés de la scolarité, c'est une manière de démocratiser la pensée philosophique. Suite aux travaux de Matthew Lipman menés dans les années '60, l'expérience a été tentée aux Etats-Unis puis au Québec et elle a vraisemblablement porté ses fruits. En Suisse, l'aventure ne fait que débuter. Aujourd'hui, la philosophie connaît un nouvel élan chez les adultes, mais l'idée de philosopher à l'école fait encore peur à certains. Pourquoi ne pas sensibiliser les enfants aux règles de l'argumentation philosophique ? De telles connaissances devraient être découvertes et non enseignées et apprises, car apprendre à philosopher ne signifie pas nécessairement apprendre la philosophie. Connaître et comprendre la pensée des grands philosophes est une étape nécessaire, mais ultérieure pour l'apprenti-philosophe. Les enfants qui développent leurs facultés de raisonnement dès leur plus jeune âge auront assurément une meilleure chance de pouvoir dépasser le stade des pseudo-arguments à l'emporte-pièce et des clichés. Et d'autres méthodes que celles de Lipman peuvent être envisagées. Pour ceux qui n'ont pas eu la chance de philosopher dès le berceau, il est rassurant de savoir qu'il n'y a pas de limite d'âge supérieure pour s'y initier. Il n'est jamais trop tard pour apprendre à penser. A l'avenir, chacun devrait pouvoir participer au débat d'idées avec de solides arguments.

Nadia Revaz