Ma contribution se situe par rapport à une
certaine conception pédagogique et didactique de " la
discussion philosophique en classe ", conçue comme "
idéal régulateur " au sens kantien, c'est-à-dire qui
n'existera probablement jamais pratiquement dans la pureté de
cet " idéal-type ", mais qui donne cependant des
repères permettant de finaliser une action de terrain :
" J'entends par discussion philosophique en classe une
interaction sociale verbale entre élèves instituée par un
dispositif garanti par l'enseignant. Ce dispositif assure à la
fois une distribution démocratique de la parole et des exigences
intellectuelles. Celles-ci visent à tenter de problématiser des
questions ou des affirmations (s'interroger, mettre en doute), de
conceptualiser des notions (définir progressivement les termes
pour savoir de quoi on parle et s'accorder sur ce dont on parle),
et d'argumenter rationnellement (et non passionnellement) des
thèses comme réponses à la question posée, pour savoir si ce
que l'on dit est vrai), et des objections à ces thèses. La
classe se constitue alors en communauté de recherche qui aspire
à la vérité, mais dans un rapport non dogmatique au savoir, et
fonctionne dans un rapport coopératif aux règles de la
discussion, avec une éthique communicationnelle ".
L'intérêt de disposer d'un tel " idéal-type ", qui est un repère, une utopie (et en rien une norme prescriptive), nous permet de prendre la mesure de la nature et de l'ampleur des difficultés rencontrées, mais aussi de viser un horizon sur lequel déployer des expériences.
Je proposerai quatre niveaux d'analyse :
1) celui, à travers le rapport à la parole (qui implique aussi le corps), du rapport au pouvoir dans le groupe. Une distribution démocratique assure le droit d'expression de chacun et la pluralité des opinions. L'écoute et le respect des personnes, au-delà de leur personnalité et de leurs idées, fondent l'éthique communicationnelle sans laquelle le débat philosophique et sa finalité citoyenne est compromis. Comment, dans la séance, se jouent dans le groupe-classe ces rapports de pouvoir, et comment se distribue la parole ?
2) Celui du rapport au savoir : du statut du savoir dans une discussion philosophique, et du rôle du maître dans la classe par rapport au savoir. La démarche philosophique est essentiellement questionnement, auto-questionnement, recherche plutôt que possession de la vérité. Le débat est l'occasion de s'interroger et pas seulement d'affirmer, de proposer ses opinions comme hypothèses à discuter, et non comme évidences. L'animateur pense moins en terme de positions vraies ou fausses que de conceptions évolutives ; il a moins pour tâche d'apporter un savoir avéré, qui vu son statut arrête la recherche collective, que de faire rebondir le questionnement.
Dans la séance, qu'est-ce qui fait sens, enjeu, énigme pour les élèves pour qu'ils comprennent qu'il y a un problème, c'est-à-dire difficulté et urgence à penser et habiter sa pensée ? Quel est le rôle du maître par rapport au questionnement et à l'auto-questionnement des élèves ? Comment se situe-t-il par rapport au savoir et à la vérité ?3) Celui de la garantie, dans une discussion qui se veut philosophique, de la mise en uvre de processus de pensée réflexifs. On rentre ici dans le cur philosophique, et pas seulement démocratique, de la discussion.
Qu'en est-il dans la séance du dispositif de fonctionnement et des interventions de l'enseignant pour favoriser chez les élèves les capacités à problématiser la question posée, à définir les concepts, à argumenter des thèses et objections ? Comment notamment sont traités les exemples comme supports concrets d'analyse ? Et comment à partir de ces exemples passer à une pensée plus générale, plus abstraite, plus universelle ?4) Celui d'une avançée de la réflexion dans la séance. Le débat est une recherche collective favorisant une recherche individuelle. Pour à la fois assurer la visibilité d'une communauté de recherche au travail, et stabiliser pour chacun quelques idées, il peut être utile d'assurer une progression de la réflexion commune, de ressaisir la pluralité dispersée des interventions en faisant régulièrement le point, et de garder trace orale et/ou écrite de la production, pendant et après le débat. Des reformulations, synthèses partielles ou finale, des notes au tableau ou sur le cahier peuvent notamment y contribuer.
Comment dans la séance évolue le débat ? Qu'est ce qui scande sa progression, et permet d'engranger les acquis ?
Ces quatre niveaux de questions se posent pour l'animation de toute discussion philosophique, que ce soit en classe terminale, à l'école primaire ou au collège, voire dans un café-philo.
-Vers une didactique de l'apprentissage du
philosopher, doctorat, Lyon II, 1992.
-Tozzi et al, Apprendre à philosopher dans les lycées
d'aujourd'hui, Hachette-CRDP de Montpellier, 1992.
-" Contribution à l'élaboration d 'une didactique de l
'apprentissage du philosopher ", Revue Française de
Pédagogie, avril-mai-juin 1993.
-Tozzi et al, Etude philosophique d'une notion, d'un texte,
CRDP de Montpellier, 1993.
-Penser par soi même, initiation à la philosophie,
Chronique Sociale,1994.
-Tozzi et al, Lecture et écriture du texte argumentatif en
français et en philosophie, CRDP de Montpellier,1995.
-" De la philosophie à son enseignement : le sens d'une
didactisation ", Savoirs scolaires et didactiques des
disciplines (coord. Develay M.), ESF,1995.
-" Peut-on didactiser l'enseignement philosophique?
",L'enseignement philosophique,déc.1995.
-Eléments pour une didactique de l'apprentissage du
philosopher, Thèse d'habilitation à diriger des
recherches, Lyon2, 1998.
-Tozzi et al, L'oral argumentatif en philosophie, CRDP
Montpellier, 1999.
-"Philosopher à l'école élémentaire ",
Pratiques de la philosophie n°6, GFEN, juillet 1999.
-Tozzi et al, Diversifier les formes d'écriture
philosophique, CRDP Montpellier, 2000.
-Tozzi et al, Philosopher à l'école primaire. L'éveil de
la pensée réflexive chez l'enfant, CNDP-Hachette, 2001.