Gilles Geneviève : La philosophie pour enfants en ZEP
Pourquoi fais-tu tout ça ?
[LA PHILOSOPHIE EST-ELLE UTILE ?] [LA PHILOSOPHIE A L'ECOLE] [NOTRE EXPERIENCE] |Accueil] |Sommaire] [Biblio] [Bio] [Liens] [Annexes] [Agenda]

Une de mes correspondantes m'a un jour posé cette question. Au cours d'un échange de courriers électroniques, elle et moi avons tenté de cerner les raisons qui me poussent à agir...

Lui : Je pense avoir trouvé dans nos démarches quelque chose qui est susceptible de développer les valeurs qui me semblent essentielles.  

Elle : Valeurs essentielles ?  

Lui : Liberté, égalité, fraternité, autonomie, responsabilité ; altruisme, compassion ; épanouissement, bonheur.  

Elle : Si tu devais en garder deux seulement ?  

Lui : Je dirais compassion et bonheur. (c'est pas simple)  

Elle : Gardes-tu alors cette formulation comme point de départ ? " Je pense avoir trouvé dans nos démarches quelque chose qui est susceptible de développer des valeurs qui me semblent essentielles :compassion et bonheur."  

Lui : Oui.  

Elle :  Vois-tu une relation entre compassion et bonheur ? Relation convergente, divergente, antinomique ?  

Lui : Il me semble que la compassion est une condition nécessaire, quoique non suffisante peut-être, pour être heureux. Peut-on être heureux seul ? R.Crusoë était-il heureux (avant Vendredi) ?  

Elle : On dirait que tu vois un lien de convergence entre compassion et bonheur, mais que tu introduis un doute : " Peut-on être heureux seul ? R.Crusoë était-il heureux (avant Vendredi) ?" Peux-tu aller plus loin dans ce sens ?  

Lui : Ce n'est pas un doute, c'est une illustration qui corrobore le postulat de départ. Je pense que Robinson n'était pas heureux, puisqu'il n'avait pas de compagnon, donc pas de possibilité d'exercer sa compassion envers qui que ce soit. Compassion qui apparait la encore comme condition nécessaire mais sans doute pas suffisante.  

Elle : Alors retour. Peux-tu expliquer compassion ?  

Lui : Pour moi, la compassion est une forme achevée de l'altruisme. Il s'agit bien, étymologiquement, de "souffrir avec". Ce qui inclut se réjouir aussi. 

Elle : Peux-tu ensuite redire en une phrase ce qui d'après toi rend Robinson heureux sans utiliser le mot compassion ?

Lui : Je ne sais pas si Robinson était heureux. J'ai dit qu'il me semblait qu'avant l'arrivée de Vendredi, il ne l'était pas. Ce qui ne signifie pas nécessairement qu'il l'était après. La compassion, ou plus précisément dans le cas de Robinson, l'occasion de l'exercer, me semble nécessaire au bonheur, mais pas forcément suffisante (je l'ai déjà dit, ça, non ?). Bon, je ne réponds pas à ta question enfin pas vraiment, mais elle n'est pas entièrement satisfaisante puisque je suis incapable d'affirmer que Robinson était heureux (je pense même qu'il ne l'était pas, puisqu'il cherchait encore à partir de son île, malgré la présence de Vendredi...)  

Elle : Il resterait cela de cette journée : "Je pense avoir trouvé dans nos démarches quelque chose qui est susceptible de développer des valeurs qui me semblent essentielles : compassion et bonheur. Pour moi, la compassion est une forme achevée de l'altruisme. Il s'agit bien, étymologiquement, de "souffrir avec". Ce qui inclut se réjouir aussi. La compassion, ou plus précisément l'occasion de l'exercer, me semble nécessaire au bonheur, mais pas forcément suffisante." Peux-tu revenir sur compassion et trouver les liens (de convergence, divergence toujours) entre altruisme, souffrir avec et se réjouir ?  

Lui : Je crois l'avoir déjà dit : pour moi, la compassion est une forme achevée de l'altruisme. Grande convergence donc. Il ne s'agit pas seulement de se soucier des autres, mais de souffrir avec eux, autant qu'eux, quand il leur arrive malheur. Et quand leurs difficultés peuvent être soulagées, qu'on le pense au moins, leur proposer les solutions qu'on envisage. C'est aussi partager leurs joies, leurs bonheurs. Etre heureux de savoir qu'ils sont heureux, sans rien attendre en retour, même pas d'être présent. C'est aussi une forme particulière, et probablement très noble, de l'amour.

Elle : Tu as précisé, maintenant, retour à l'essentiel. Peux-tu réduire ce texte à UNE SEULE PHRASE représentative de ton "fonctionnement" habituel et général face à l'autre ce que tu as présenté là ?    

Lui : Il me semble nécessaire, pour être heureux, d'être à l'écoute de l'autre pour pouvoir comprendre ses joies et ses peines, les partager et, éventuellement, lui proposer des solutions.  

Elle : Quelle question faudrait-il poser à un tel schéma pour en percevoir la ou les limites ? (sans se soucier de la réponse pour l'instant). Ou bien, quelle est la question "ennuyeuse" pour un tel schéma ?  

Lui : La question pourrait être : N'as-tu pas l'impression de décrire là un idéal de comportement qu'aucun être humain ne peut atteindre, à cause de son égoïsme ?  

Elle :Tu ne remets pas en cause le schéma lui-même. Je repose donc la question. Quelle question faudrait-il poser à un tel schéma pour en percevoir la ou les limites ? (sans se soucier de la réponse pour l'instant). Ou bien, quelle est la question "ennuyeuse" pour un tel schéma ?  

Lui : A quelles conditions peut-on réellement partager les joies et les peines d'autrui ?  

Elle : Toujours pas. Tu ne remets pas ce schéma en cause, tu ne le dérangespas par une question "ennuyeuse". Je précise alors. Tu disais "jeu". Il ne s'agit ici ni de donner un discours cohérent, ni un discours sincère. Tu as posé une phrase qui semble correspondre à un fonctionnement que tu adoptes. "Il me semble nécessaire, pour être heureux, d'être à l'écoute de l'autre pour pouvoir comprendre ses joies et ses peines, les partager et, éventuellement, lui proposer des solutions." Ensuite, le "jeu" si tu veux, intellectuel, c'est de voir en quoi ce fonctionnement, habituel, ancré, peut être remis en question. De l'extérieur. Tu sais, c'est le dépaysement dont je te parlais. Contempler cette phrase comme un étranger qui lui objecterait des incohérences ou des limites. Alors, admettons que tu fais parler quelqu'un d'autre. Donne-lui un nom pour t'y retrouver. Ton contraire, ton opposé, ton fantôme, ton négatif. Ce qui compte ici, c'est le fil, le raisonnement, les oppositions qui, (peut-être, si tu lâches ton exigence de cohérence et ta sincérité) viendront à apparaître. Il ne s'agit pas par contre de prévoir les "coups" possibles et leurs conséquences, mais d'avancer pas à pas, une phrase après l'autre.  

Lui : Je pourrais dire : "Le bonheur peut-il être soumis à des conditions ?"  

Elle : Ca vient. Tu as fait une objection synthétique. Peux-tu faire d'autres essais de remise en cause, entrant dans le détail de CE QUI, dans ta phrase de départ, est nécessaire pour être heureux ? Pose disons trois objections, juste pour la position extérieure et critique.  

Lui : 1. Comment être sûr que celui qu'on écoute parle vraiment ? A quoi voit-on  qu'on le comprend réellement ?
2. Quel intérêt aurais-je à ce que tu partages mes joies ?
3. Quand tu partages mes peines, la satisfaction n'est-elle pas plus grande pour toi que pour moi ?
 

Elle : Voilà ! On y est. Il me semble que tu es sorti de ton monologue. On continue dans l'essentiel qui nécessite de laisser ce qui est moins important en route, sans remords. Alors maintenant, reprends LA phrase qui te paraît la plus "impertinente", celle qui dérange le plus le schéma du départ. Et trouve une formulation la plus réduite possible, la plus concentrée et allant au but du dérangeant.  

Lui : 1 : Il me semble nécessaire, pour être heureux, d'être à l'écoute de l'autre pour pouvoir comprendre ses joies et ses peines, les partager et, éventuellement, lui proposer des solutions.
2 :  Vouloir partager les peines de quelqu'un, c'est rechercher son propre bonheur.
 

Elle : En quoi l'affirmation 2 est-elle dérangeante par rapport l'affirmation 1 ?  

Lui : L'affirmation 1 met l'accent sur le don de soi désintéressé, alors que la 2 montre qu'en fait l'altruisme est toujours mis au service de qui prétend en faire preuve.

[LA PHILOSOPHIE EST-ELLE UTILE ?] [LA PHILOSOPHIE A L'ECOLE] [NOTRE EXPERIENCE]
[Accueil] [Sommaire] [Biblio] [Bio] [Liens] [Annexes] [Agenda]